fragments d'Italie

Publié le par Mickaël

     Ecrire était devenu à proprement parler insoutenable, une activité détestable qui ruinait toute la volonté d'un homme accoudé sur le comptoir d'un bar un rien stylisé. Quelques réclames début de siècle au colorisme voyeur attiraient le regard et le faisaient fuir alternativement. La rémanence désuète de Banania dans un port au médiévisme biscuité de calcaire. Des clochers graves d'un symptôme incurable, la nostalgie marine, des barbaresques absents que l'on regrette sur les bords de quais. Un tintamarre flasque et aqueux de barques écaillées.  Coup d'oeil furtif à une jeune serveuse un peu défraîchie, le cou trop protégé, les avants-bras pas assez dénudés, beauté du soir brisée de monotonie. Burinage des bancs, acajou bruni de café, miette de pain solitaire, le contact tiède de la peau et du bois. La feuille sur laquelle un verre de rhum traînait avec dégoût n'était que pliures et coursives invisibles où nageait une ligne bleue bizarrement tordue. Lèvres humides dégoulinant d'un dialecte italien légèrement suave, un chiffon à la main, des yeux noirs, noir d'encre, noir d'un marin nocturne. Les jambes croisées, le coude gauche sur la relève à claire-voie du banc, un regard insistant et tout aussi rapidement un détour mental vers des figures de saints à cheval. Le vent siffle comme une Cassandre énervée, des bruits de ferraille font sursauter la poussière des tasses et des verres de bière. Des auréoles de lait mal essuyées occupent les postes d'avant-garde tandis que deux hommes discutent à bâtons rompus. De quoi ? C'est sans intérêt. Les cheveux roux mal coiffés laissent voir une nuque un peu tannée dont le seul futur visible s'alimente de lèvres encombrées de désir, tableau unique, expressif, échantillon représentatif et pourtant singulièrement doté de cette rareté absolue qu'est l'instant déja disparu. Griffonner à nouveau sur un carnet qu'un proche nous a offert, s'évertuer à déclencher ces irruptions jouissives, avaler par intermittence un peu de café puis du vin liquoreux. Se prendre d'une ivresse sobre, s'accorder cette débauche un peu bohême et falsifiée, s'immerger dans une image débonnaire de paresse et fixer pour quelques secondes ces estampes populaires tout en revenant avec malice vers la jeune femme du bar. Encore quelques minutes et une musique au rythme correct, quand je dis correct c'est qu'il s'accorde bien à la peinture du moment, va aérer les consciences. On croit réfléchir à des sentences profondes et le micro-rongeur n'accouche que de pensées d'une banalité sublime. Un torse assez fin et bien pris, des seins recouverts d'un coton graphiquement, j'ai bien dis graphiquement, moderniste et par là-même surprenant par la désensibilisation qu'il procure. Un galbe à stimuler les songes, une gorgée de sucre aviné, une inspiration qui expire ce carbone tranquille et agacé de tant de lissage, ce rien à peine soulevé d'inattendu. Tout n'est-il pas prévisible puisque rien n'est attendu ? Même ces quelques mots d'indécence, cette proposition non pas formulée dans les limbes cérébraux, seulement articulée par les gesticulations d'une langue humide d'alcool, toute cette vague avortée de désir se désagrège sans plus de force.

 

Photo proche orient 767

 

     Rien ne compte plus si ce n'est passer son bras autour de cette rousseur peu communicante. Ramener son vertige de voyageur désabusé en avalant à pleines mains une flaque d'eau salée. Ce serait oublier l'infortune du siècle, ces pollutions inorganiques, camisole de prudence pour nos prétendus actes effrontés. Autant s'asseoir en balançant ses jambes et s'amuser du contact éphémère de nos semelles avec le clapotis de l'eau. La tête qui se tourne à gauche en sentant des cheveux lui chatouiller le cou. Ces voluptueuses sirènes de gris bleuâtre qui surmontent le lungomare, ces palmiers éjaculant leurs frondes végétales, dédaigneusement illuminés, le bel artifice, ces angles droits sombres et d'un glauque chaleureux, ce foulard rouge négligemment noué autour du cou et une main aussi froide que jouissive. Le temps n'est qu'un aberration humaine, le temps n'existe pas, un fragment d'éternité. Un couple improbable, la mathématique de l'Adriatique, un nombre imaginaire dont le concept se révèle réel, la réalité imaginaire d'une nocturne italienne. Un plan séquence qui pourrait durer des heures, une rotative cinématographique où bataillent les halètement mélodiques et sonores des Strokes face aux  discrètes, harmonieuses et si innocentes mélodies estoniennes d'Arvo Pärt. Prière physiologique, statisme de l'esprit, dynamique du corps, la main épouse le sein droit, les bâteaux se dodelinent et la tête se renverse doucement. Une sirène qui retentit quatre fois, des étoiles terrestres tracent une ligne à l'horizon proche. L'envie de rentrer, de se mettre au chaud, de préparer un chocolat au lait avec un cacao pur, de toucher des draps frais et parfumés de lavande. Respirer des cheveux roux, sentir quelques effluves peut-être balsamiques, très certainement jasminées. Trop rose, trop bleu. Pas assez épuré, je cherche ma Sparte péninsulaire, mes Pouilles spartiates, l'idée saugrenue que je m'appartiens entièrement sans l'illusion d'un instinct étranger, la pulsion d'un moi qui n'est pas une intimité déguisée mais un signal de vie individuel dans sa totalité. Quelques aboiements, ces cris universels que même l'ouïghour désespéré perçoit dans les ruelles de sa Kashgar fanée et persécutée, des canettes d'aluminium qui volent et tapent sur un mur. Un sourire soudain, un vrai sourire qui part des entrailles lorsqu'il aperçoit ces yeux noirs et ces joues pleines de tendresse. Une nuisette illustrée d'une candeur ravissante de tant d'inélégance, ces motifs sans grâce et pourtant gages de cette pudeur presque adolescente, de grosses fleurs au populisme ravageur. Un accent moldave, des ruisseaux de cheveux roux, des klaxons épuisés au dehors, la mer encore et encore, le fracas feutré de la houle portuaire, les froissements de vêtements, la chaise immobile et ce sommier grinçant, vulgairement grinçant. Lire, lire et encore lire le courant d'attraction, souffler ses gestes, moudre son envie comme d'une farine huilée, se sentir emporté dans cette nuit qui semble s'être installée dans la durée. Et toujours ce rythme de guitare effréné. Ondine de passage, dragée eucharistique et dolora amorosa, un chat qui se terre, une vitre qui se perle de gouttes, ce decreschendo aimable comme du foie gras à la confiture de figue, une éponge à sentiment, une aubergine qui se gonfle d'eau, et ce doigt qui serpente sur ce corps à la minauderie toute crème. Ce beige agathe qui résiste avec vaillance dans quelques réduits protégés par la vestimentaire d'un été finissant. Une eau de toilette, très chic, très genre, un baiser échangé, presque une eau de rose, et grossièrement un bruit de bois craqué. Des pigeons qui s'ébattent, des bruits d'ailes, une envie de mer, une envie de cathédrale, d'oraison solitaire, de promenade, un souvenir ancré le temps d'une vie.

 

 

 

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